mercredi 22 mai 2013

Jugement (mais pas le dernier)


Souvent, je me sens obligée de me justifier d'un choix que je fais en matière de maternité. Ou je me sens coupable de faillir à mes devoirs amitico-publitico-relationnels. Ca tient beaucoup à ma nature anxieuse, un peu aux cons qui m'entourent. Parfois j'ai envie de me foutre une claque. Ce que mon mec, ou une amie, se charge de faire - virtuellement on s'entend, au travers d'une parole simple et directe du style "mais tu t'en fous de ce que pensent les gens". C'est vrai, je devrais m'en foutre mais on sait combien, en bon animal social, il est difficile d'ignorer le regard (et le jugement) de l'autre.

Alors je vais m'offrir ce petit moment d'auto-justification, un peu de gratification (nous ne sommes jamais mieux servis que par nous-mêmes) et peut-être permettre à d'autres de mieux se sentir soit parce qu'ils réfléchiront avant de juger, soit de se sentir moins seules dans ce quotidien troublant qui est celui d'une mère.

J'ai longtemps cru qu'il était possible - pour moi - d'être une mère, une femme, une amie qui assurerait sur tous les plans et que si j'avais - aux dires de certain(e)s - un peu foiré sur ce coup là après ma première grossesse, j'allais faire mieux cette fois. Autant le dire de suite, j'ai juste persévéré dans ce que j'étais, avec une différence majeure, j'ai pris conscience de ce que je faisais. Et contrairement à ce que j'avais cru lors de mon congé de maternité de l'elfe, j'ai bien fait. Je suis une mère, une femme et une amie.

J'ai mis plusieurs années à comprendre que d'être ces trois femmes pouvait se faire en même temps. Là où était mon erreur, c'était de croire que ce "en même temps" devait être permanent. Quand j'allaite ma fille, je n'ai pas besoin d'être sexy ni d'être une amie à l'écoute. J'allaite ma fille. Hop hop, je remballe mon sein, je fais faire le petit rot, j'essuie le trop plein et je peux être disponible pour les autres, ou pas. Je peux être chacune de ces femmes tour à tour, parfois même deux d'entre elles en même temps et si vraiment le temps le permet, les trois à la fois (mais là vraiment faut que la conjonction des astres soit très favorable). Pas la peine d'objecter que je suis tout le temps les trois, oui c'est vrai aussi mais mon propos est de souligner qu'il y a toujours une de ces femmes qui prend le dessus sur les autres (à la plaine de jeux couverte je ne peux être qu'une mère juive et c'est vraiment pas le moment de me parler de vos problèmes parce que je suis perpétuellement au bord de l'attaque cardiaque devant ce que certains appellent des jeux et moi des "accidents en puissance" - Bref, j'ai déjà parlé de ma nature anxieuse).

Cette question me tient particulièrement à coeur parce que je la pense être au coeur de nombres de difficultés aujourd'hui pour les femmes à savoir qui elles sont et à pouvoir s'épanouir pleinement. Il y a encore une énorme fracture dans le combat entre la femme libérée (de quoi?) et la mère (prisonnière, de qui?). Cette fracture est source de souffrance ou de questionnement pour beaucoup d'entre nous, rendant nos choix parfois fort dissonants, entre coeur et raison, poussées par la société à devoir "bien faire". Oui mais c'est qui cette société qui va nous dire ce qui est bien?

En fin de congé de maternité puis parental (rien que ces deux types de congés sont des paradoxes en eux-mêmes) pour ma grenouille je n'ai pu m'empêcher de jeter un coup d'oeil dans le rétro et de tirer quelques conclusions sur ce que j'ai fait de mon temps. La première chose qui me frappe c'est qu'avec autant de mois devant moi après mon accouchement j'avais des idées plein la tête et des projets à vous retourner les placards. Dans la réalité: que dalle! Et dans le peu de temps qui me restait avant l'entrée en crèche et le retour au boulot - quand j'ai pris conscience du temps écoulé - j'avais pas envie de le passer à faire du réassort de mes gardes robes. Autant pour mes projets de tri, renvoyés à ce qu'ils sont, mes éternelles promesses jamais tenues à mon moi psycho-rigide. Dans la réalité, ma vie s'est mise a tourner - exclusivement - autour de cette petite grenouille aux yeux de schiste.

Et c'est là que ça coince. Avec tout ça, j'ai mis de côté mes sorties, j'appelle moins mes potes, je ne vais plus aux concerts pour le moment, ni aux spectacles. Je trouve qu'avec un nouveau né puis un tout petit ce n'est ni respectueux de son confort ni du mien. Si vraiment je dois le faire, dans ces moments là je me sens obligée, je me mets beaucoup de pression, je ne profite de rien et l'osmose avec mes filles les rendant totalement perméables à cet inconfort, ça tourne casaque. Bref, je passe des moments dégueulasses, tout ça pour faire bien, pour faire semblant que ma vie n'a pas changée depuis leurs naissances respectives et que je continue "comme avant". Oui, sauf que pour moi c'est pas "comme avant". Ce qui pose problème? Pas la sortie, pas l'enfant, non comme d'habitude c'est le qu'en dira-t-on" des biens pensants. J'ai voulu plaire à l'autre et prouver que je suis cap'! Entreprise vouée à l'échec puisque ces sorties ne seront bien sûr pas assez récurrentes ou de qualité, parce que parfois elles sont annulées pour cause de maladies infantiles ou de fatigue majeure et que franchement quand tu en es réduite à vouloir prouver quelque chose qui va à l'encontre de tes convictions, tu te sens conne. Faut pas vendre un produit si tu n'y crois pas, tu n'es simplement pas crédible. La seule chose que t'arriveras à vendre finalement (et encore c'est au diable) c'est ton bon sens.

Chloé, ressaisis-toi!

Quand j'ai choisi de faire un enfant (puis une autre) j'ai fait le choix de mettre la vie que je menais jusque là entre parenthèse, voire d'en changer tout simplement, tant il est vrai que "rien ne sera plus jamais comme avant". Alors bien sûr ma vie sociale n'est pas morte et enterrée mais je suis moins disponible parce que mon centre d'intérêt immédiat c'est la grenouille - 8 mois - et son pendant de 4 ans, l'elfe. J'ai juste envie d'être là pour elles. Je me sens bien là-dedans. Je privilégie mon allaitement à "tirer mon lait comme ça je peux mettre ma fille ailleurs". Je me rends compte que j'aime passer du temps avec elle et tant pis si je n'ai pas vu beaucoup de monde sur la semaine. J'aime nos journées cocooning. Progressivement mes "horaires" sont devenus les siens. Autant en emporte mes sorties à gauche à droite, le bébé dans sa poche kangourou, en dépit du temps et de l'heure. Bref, je suis devenue une de ces mamans dépendantes des "moments sieste", de l'heure de la panade (légumes puis fruits), des moments d'éveils, de changes, ... J'aime cette fusion. Mieux, depuis cette seconde maternité je n'ai plus peur qu'on me taxe de mère fusionnelle. J'ai compris que cette fusion elle fait peur aux autres, qui ne la comprenne pas ou qui la jalouse (ou qui sont psychanalystes). Je suis apaisée par cette proximité, rassurée par ce qu'elle apportera à ma fille quand il faudra mettre un peu d'espace entre nous. Je sais qu'elle saura reconnaître la force du lien et de la confiance, qu'elle l'utilisera pour mieux prendre son élan. Je sais que cette fusion me donnera confiance pour ce qu'elle est, de l'amour maternel non censuré par les codes sociétaux.

Je ne suis pas seule et je ne fais pas rien. Je ne suis pas folle non plus et parfois je fais la gueule parce que j'ai envie de faire "autre chose" que mon job de mère. Tout choix a des côtés négatifs et je suis crevée (je crois même n'avoir jamais été aussi crevée de toute ma vie), je suis humaine quand même. Je chiale, j'en peux plus, je me sens coincée et tout ça et le reste. Je suis - certes - un peu esclave de mes choix mais pas en raison de ce qu'ils sont, plutôt parce que choisir une porte, c'est tourner le dos à une autre. J'ai juste choisi temporairement de modifier mes priorités parce que c'est le sens d'une maternité pour moi. Être dans l'ici et maintenant avec mon enfant pour le(s) voir grandir.

Cette vision de la maternité n'engage que moi. Il y a bien sûr autant de choix que de mère, même si je reste persuadée que le formatage aux attentes pousse nombreuses d'entre elles à faire de faux choix (dans un sens comme dans l'autre). Cela me concerne tout autant, entre maternage proximal et burn out maternel, je joue volontiers la carte de la confusion. Mais je me passerai de faire un commentaire acerbe ou jugeant sur les autres mamans. Tant mieux si certaines s'éclatent à revenir au travail, à sortir au resto, à prendre leurs bébés partout où elles vont, à porter talons et taille 36 comme si elles avaient encore 18 ans. En ce qui me concerne, tout cela (re)viendra plus tard. Bon, il y a aura peut-être quelques amis qui se seront lassés d'attendre. Et la taille 36 ne sera peut-être plus qu'un 38 (ou un 40). J'aurai sans doute manqué quelques bonnes sorties cinéma et des concerts. Quelques bons verres. Bah. Il y  a des choses qu'on n'aime plus avec le temps qui passe et ça n'a rien à y voir avec le fait d'être une mère. J'appellerais bien ça "grandir" mais ça serait condescendant.

Finalement, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de se justifier de sa façon de vivre la maternité. J'attends simplement du respect de la part de ceux qui m'entourent, qui me connaissent, qui me fréquentent vis-à-vis de mes choix. Comme je les respecte dans les choix qu'ils posent, qu'ils me plaisent ou non. Et je regrette parfois de devoir en arriver à penser "sans être parent soi-même il y a des choses impossibles à comprendre". Je m'étais juré de ne pas le dire mais depuis que je suis mère je me rends compte de la vérité cruelle de cette assertion.

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