jeudi 1 novembre 2012

Dans la maison vide

                                                    ©Marthe Bingen Willendyck - vacances familiales à Trégastel                                      

Ces derniers jours je pense souvent téléphoner à ma grand-mère pour lui raconter les dernières nouvelles, lui dire encore un truc ou deux qu'elle ignore depuis qu'elle est morte. Et puis je me rappelle qu'elle est morte justement et que je ne pourrai jamais lui dire ce qu'il me reste encore à lui dire. Elle ne saura jamais ce que j'ai bien pu dire de mon amour pour elle le jour de ses funérailles. Je ne saurai jamais ce que sa pensée a été quand son regard a croisé celui d'Alma. Désormais ma relation avec elle ne sera faite que de plus jamais.

Le coeur engourdi par les pertes successives de ces derniers mois et la tête farcie de souvenirs. Des pages et des pages d'anecdotes que je ne veux absolument pas oublier. Des souvenirs qui tournent en boucle et auxquels j'ai besoin de m'accrocher pour un moment encore. Pour garder mes morts plus longtemps mais aussi pour rendre ces absences plus vraies...

...des commentaires sur mes pertes et prises de poids, mes choix amoureux et vestimentaires, mes études, mon boulot, ma fille, ... Mon grand-père qui s'endort à table, qui joue avec nous, qui porte tout le barda dont ma grand-mère s'encombrait toujours... une veste en peau de mouton retournée, un menton qui gratte, des histoires sans fin et l'odeur du Brylcreem... le jardin, les fleurs, les messages sur le répondeur... des merles, des cygnes, des gaufres, des iguanodons... les photos et des vidéos que je n'ai jamais vues... des châteaux de sable, des matchs de tennis, des leçons de latin, des pulls et des chaussettes de laine uniques, des crevettes fraîches et des coupes de cheveux à pleurer... des fouilles archéologiques, la Grèce, l'Egypte, le monde entier... des vacances à la mer et des excursions partout, partout, partout... des questions attentives et touchantes, discrètes et aimantes... des regards doux, des sourires silencieux et si chaleureux...

Des lieux et des odeurs qui avaient pris tellement de place dans ma vie que leur absence me frappe de plein fouet. Cette omniprésence douloureusement absente.

De l'amour, de l'amour, de l'amour.

De la nostalgie. Une cuisine à jamais vide des odeurs et des bruits de casseroles. Un jardin que personne ne contemple plus. Une fenêtre fermée sur une chambre vide. Le soleil qui fait scintiller les grains de poussières à travers la porte fenêtre du salon et personne pour rompre ce silence. C'est insupportable. Il n'y aura plus de pistolets du dimanche, ni d'apéros ni de fête de famille. Maintenant c'est la maison des plus jamais.

Il s'agit de bien plus que l'absence éternelle de mes grands-parents. Le silence des mimosas c'est la fin de ce que j'ai toujours connu. C'est ça la mort.

J'ai dit au revoir à mon arrière grand-mère, à mes deux grand-mères, à mon grand-père. Et je connais la suite de l'histoire. Ce n'est pas ce qui m'empêchera de vivre, ni de mourir, mais je n'ai pas envie de faire semblant pour le moment que la mort m'indiffère ou que je l'accepte. Il y a des jours où ça fait drôlement mal de prendre la mesure des choses, de perdre. De parler sans plus personne pour écouter.

Quand je m'éveille la nuit, un pincement inquiet au coeur, je me prends à espérer que quelqu'un m'aimera suffisamment pour dire une seule des mille choses merveilleuses que j'ai pu entendre à leurs funérailles, verser une seule des larmes qui ont coulé et partager ne fût-ce qu'un seul des souvenirs heureux que j'ai aujourd'hui.