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mardi 22 mars 2016

Trauma

 ...Tu vas me revoir Mademoiselle Bruxelles
Mais je ne serai plus tel que tu m'as connu
Je serai abattu courbatu combattu
Mais je serai venu.

Bruxelles attends moi, j'arrive...


Ce matin j'étais à Maelbeek. Comme tous les matins. Trente minutes ou vingt minutes avant que la bombe n'explose. Je ne sais pas. 
Ce matin mon oncle et ma tante étaient à Zaventem. De retour de voyage. Trois minutes avant les tirs et les explosions. 

Les minutes peuvent être des heures. Aujourd'hui elles me semblent être des secondes. Qui auraient pu tout changer. 

Je n'ai pas eu peur pour mes enfants. Ils étaient en sécurité derrière une porte fermée à clé. 
Je n'ai pas eu peur pour moi. Même à 500 mètres du drame. 

Mais toute la journée j'étais dans le bruit des ambulances et des sirènes. Dans les cordons de plastiques qui nous indiquent que le drame est là et qu'on ne peut pas aller plus loin. 

Chaque matin, depuis trop longtemps, même fugacement, je me demande dans quelle rame je dois monter. Devant? Au milieu? Derrière? Est-ce que "ce" sera à Schuman ou Maelbeek? Arts-Loi?

Ce matin j'étais au milieu, je suis descendue à Arts-Loi. J'ai regardé les militaires et je me suis dit que c'était bien triste de vivre en état de peur. Je me suis dis que j'étais ridicule. Et j'ai commandé mon Latte, comme tous les matins. 

Mais ce n'était pas un matin comme les autres. Et mes questions ont trouvé des réponses. Ce mardi 22 mars 2016 il ne fallait pas monter au milieu et c'était à Maelbeek. 

Et je me dis si. Si j'avais conduit mes enfants ce matin. Si j'avais lancé une machine à laver ce matin. Si j'étais passée au Carrefour ce matin. Si j'avais pris ces vingt petites minutes en plus, juste ce matin.

Je ne suis pas prête à en rire. Je ne peux pas encore me dire que je suis ridicule. Je ne peux pas encore me dire que je n'ai pas peur. Cette pensée latente est devenue une réalité. Je rends les armes, je ne vais pas faire semblant. Je suis sous le choc.

Je contiens encore un peu mes larmes parce que mes enfants sont avec moi. Je contiens encore un peu mes larmes parce que je me trouve idiote - après tout je vais bien, mes proches vont bien. Mais je sais aussi que prendre le métro ne sera plus jamais tout à fait pareil. Maelbeek ne sera plus jamais tout à fait pareil. 

Savoir ne fait pas l'affaire. Être averti ne met pas à l'abri. Parce qu'on ne peut cesser de vivre. Ni de penser. 

Là tout de suite je ne regarde pas les informations et je ne lis pas les nouvelles. Je m'occupe des quatre enfants, les miens et ceux d'une amie. Je les ai pris chez moi parce que leur maman est coincée dans le chaos bruxellois. Et ça me fait du bien d'être cette porte ouverte. On dessine en regardant des dessins animés. On mange beaucoup trop de chocolat. Je me fous des devoirs et de l'heure du repas. Je me réjouis de l'amour et de la solidarité. 

Mais je me demande comment prendre ce métro demain. Alors quand les enfants seront couchés je regarderai les nouvelles jusqu'à en être dégoutée pour exorciser, je boirai du vin et je ferai l'amour. 


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J'ai été très émue du souci manifesté par mes amis, parfois très loin d'ici - celui de ma soeur dès les premiers instants. C'est un baume au coeur, un onguent pour l'âme. 


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Au milieu de tout ça je pense aussi aux réfugiés qui fuient les horreurs d'une guerre, générant une peur que je ne peux même pas concevoir. Je pense à ces routes que je ne veux pas avoir à prendre. Ces routes sur lesquelles ils meurent, abandonnés. Ces routes sur lesquelles notre humanité meure un peu plus chaque jour. 


lundi 11 janvier 2016

Beau comme du Bowie

I still don't know what I was waiting for
And my time was running wild
A million dead-end streets
And every time I thought I'd got it made
It seemed the taste was not so sweet
So I turned myself to face me
But I've never caught a glimpse
Of how the others must see the faker
I'm much too fast to take that test

Ch-ch-ch-ch-changes
Turn and face the strange
Ch-ch-changes
Don't want to be a richer man
Ch-ch-ch-ch-changes
Turn and face the strange
Ch-ch-changes
Just gonna have to be a different man
Time may change me
But I can't trace time

I watch the ripples change their size
But never leave the stream
Of warm impermanence and
So the days float through my eyes
But still the days seem the same
And these children that you spit on
As they try to change their worlds
Are immune to your consultations
They're quite aware of what they're going through

Ch-ch-ch-ch-changes
Turn and face the strange
Ch-ch-changes
Don't tell them to grow up and out of it
Ch-ch-ch-ch-changes
Turn and face the strange
Ch-ch-changes
Where's your shame
You've left us up to our necks in it
Time may change me
But you can't trace time

Strange fascination, fascinating me
Changes are taking the pace
I'm going through

Ch-ch-ch-ch-Changes
Turn and face the strange
Ch-ch-changes
Oh, look out you rock 'n rollers
Ch-ch-ch-ch-changes
Turn and face the strange
Ch-ch-changes
Pretty soon now you're gonna get older
Time may change me
But I can't trace time
I said that time may change me
But I can't trace time













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Un lundi pluvieux, je suis inconsolable,
éperduement fascinée par cet homme de la réinvention permanente.

David Robert Jones - Bowie 
1947-2016

lundi 26 octobre 2015

D'une pièce à l'autre

Ce weekend j'ai été à la traditionnelle réunion d'automne. Celle où une de mes branches se réunit pour fleurir la tombe de nos aïeux et boire quelques bulles.

C'est un moment de douce amertume. Où la joie des retrouvailles se mêle à une certaine tristesse. De ces moments où la force de l'émotion a un goût de mélancolie. De ces moments où les absents, connus et moins connus, nous rappellent la finitude des choses. Mais aussi la force de la mémoire et du lien.

Dans La Maison Vide je racontais mon infinie tristesse de voir la porte se refermer sur la maison de mon enfance et le deuil de mes grands-parents. L'acceptation de la perte est un travail difficile, insupportable et sans doute impossible pour partie.

Pourtant.

Le temps s'écoule et cette maison dont le silence me faisait si peur fourmille maintenant de mille bruits. Ceux de ma famille. Cette maison, devenue mienne, bruisse d'une nouvelle histoire. 

Parce que la perte nous laisse avec un vide devant les yeux, il faut apprendre à regarder autrement. Je ne suis plus (que) la petite fille. Je suis l'adulte qui veille sur les enfants. Je suis l'adulte qui prépare l'apéro. Je suis l'adulte qui va chercher les pistolets du dimanche. Je suis l'adulte qui entrouvre la fenêtre. Je suis l'adulte qui prend le relais. Je suis l'adulte qui va fleurir les tombes et qui apprend les anecdotes pour à mon tour les transmettre.

Je suis de la filiation. Je suis de la transmission. Je pose la question du sens pour moi et ceux de demain. Le poids de la charge et la fierté apaisante d'être un passeur.

Je suis rentrée chez moi et j'ai respiré très profondément, le coeur gonflé d'émotions contradictoires et enivrantes. Puis j'ai dormi.


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Parfois, au détour d'une pièce, j'entends le bruit léger et cristallin de mes souvenirs d'enfance. Comme des rayons de soleil qui se reflètent sur la surface de l'eau, légèrement aveuglants. Puis ils disparaissent, emportés par les rires de mes enfants et le bruit d'une vie.

Dans la maison vide il y a l'écho du temps qui passe et qui ne se ressemble pas.

jeudi 1 novembre 2012

Dans la maison vide

                                                    ©Marthe Bingen Willendyck - vacances familiales à Trégastel                                      

Ces derniers jours je pense souvent téléphoner à ma grand-mère pour lui raconter les dernières nouvelles, lui dire encore un truc ou deux qu'elle ignore depuis qu'elle est morte. Et puis je me rappelle qu'elle est morte justement et que je ne pourrai jamais lui dire ce qu'il me reste encore à lui dire. Elle ne saura jamais ce que j'ai bien pu dire de mon amour pour elle le jour de ses funérailles. Je ne saurai jamais ce que sa pensée a été quand son regard a croisé celui d'Alma. Désormais ma relation avec elle ne sera faite que de plus jamais.

Le coeur engourdi par les pertes successives de ces derniers mois et la tête farcie de souvenirs. Des pages et des pages d'anecdotes que je ne veux absolument pas oublier. Des souvenirs qui tournent en boucle et auxquels j'ai besoin de m'accrocher pour un moment encore. Pour garder mes morts plus longtemps mais aussi pour rendre ces absences plus vraies...

...des commentaires sur mes pertes et prises de poids, mes choix amoureux et vestimentaires, mes études, mon boulot, ma fille, ... Mon grand-père qui s'endort à table, qui joue avec nous, qui porte tout le barda dont ma grand-mère s'encombrait toujours... une veste en peau de mouton retournée, un menton qui gratte, des histoires sans fin et l'odeur du Brylcreem... le jardin, les fleurs, les messages sur le répondeur... des merles, des cygnes, des gaufres, des iguanodons... les photos et des vidéos que je n'ai jamais vues... des châteaux de sable, des matchs de tennis, des leçons de latin, des pulls et des chaussettes de laine uniques, des crevettes fraîches et des coupes de cheveux à pleurer... des fouilles archéologiques, la Grèce, l'Egypte, le monde entier... des vacances à la mer et des excursions partout, partout, partout... des questions attentives et touchantes, discrètes et aimantes... des regards doux, des sourires silencieux et si chaleureux...

Des lieux et des odeurs qui avaient pris tellement de place dans ma vie que leur absence me frappe de plein fouet. Cette omniprésence douloureusement absente.

De l'amour, de l'amour, de l'amour.

De la nostalgie. Une cuisine à jamais vide des odeurs et des bruits de casseroles. Un jardin que personne ne contemple plus. Une fenêtre fermée sur une chambre vide. Le soleil qui fait scintiller les grains de poussières à travers la porte fenêtre du salon et personne pour rompre ce silence. C'est insupportable. Il n'y aura plus de pistolets du dimanche, ni d'apéros ni de fête de famille. Maintenant c'est la maison des plus jamais.

Il s'agit de bien plus que l'absence éternelle de mes grands-parents. Le silence des mimosas c'est la fin de ce que j'ai toujours connu. C'est ça la mort.

J'ai dit au revoir à mon arrière grand-mère, à mes deux grand-mères, à mon grand-père. Et je connais la suite de l'histoire. Ce n'est pas ce qui m'empêchera de vivre, ni de mourir, mais je n'ai pas envie de faire semblant pour le moment que la mort m'indiffère ou que je l'accepte. Il y a des jours où ça fait drôlement mal de prendre la mesure des choses, de perdre. De parler sans plus personne pour écouter.

Quand je m'éveille la nuit, un pincement inquiet au coeur, je me prends à espérer que quelqu'un m'aimera suffisamment pour dire une seule des mille choses merveilleuses que j'ai pu entendre à leurs funérailles, verser une seule des larmes qui ont coulé et partager ne fût-ce qu'un seul des souvenirs heureux que j'ai aujourd'hui.

lundi 19 mars 2012

Comment se dire adieu


Perdre un être cher n'est jamais facile. Un coeur pleure l'absent pour mille et une raisons, étonnantes et surprenantes, que seul le jour du véritable chagrin pourra révéler. Se préparer, savoir l'inévitable ne change rien à la peine que l'on ressent ni à la force de celle-ci. J'ai pleuré il y a quelques semaines un homme grand que j'avais pour habitude d'appeler Bon-papa.
Ce grand-père que je ne pensais qu'à nous - sa famille - m'a surpris au-delà de sa mort. Au travers des hommages rendus, fussent-ils académiques, engagés ou familiaux, une même esquisse. Celle d'un homme qui aimait sa famille, qui était fier de nous et qui a transmis à tous de véritables valeurs. Un homme qui était aimé par d'autres aussi, beaucoup d'autres. L'émotion et la chaleur des paroles de ce jour m'ont profondément touchées. Elles m'ont apaisée. J'ai découvert par les échos du monde la profondeur de son être et de ses convictions dont je n'avais étrangement entrevu qu'une partie (sa leçon d'humilité sans doute). Et j'ai aussi (re)découvert mon héritage, la lignée dans laquelle je m'inscris. Je n'ai pas su tout comprendre lorsqu'il était là. C'était mon grand-père après tout, ni un professeur, ni un Docteur, ni un maître. Mais je n'ai aucun regret. Ce qu'il devait transmettre l'a été, par son tendre et discret accompagnement. Par ses leçons parfois agaçantes mais qui ont porté leurs fruits. Et par mon propre père. Ainsi va la vie, de génération en génération. Depuis le départ de mon grand-père il faut se reconstruire, chacun reprendre sa place, s'en faire une nouvelle, avec l'absence et tout ce qu'elle nous rappelle. Cette perte de fin d'hiver entame son lent travail de  deuil avec l'arrivée du printemps. Le chagrin se fait doux amer. On rit plus souvent, on chérit ce lien qu'on ne savait pas si fort, on partage des petites histoires comiques, on ressent la joie de passer du temps avec sa grand-mère et de la voir si bien. On parle de l'enfant à venir. Les absents nous rapprochent, sans doute un dernier cadeau pour la route. La vie continue.

Mon grand-père a écrit "creuser la terre, trouver les hommes" (ou était-ce "creusez la terre, trouvez les hommes"?). Un humanisme à toute épreuve dont on ne peut faire l'économie. Merci, je ne l'oublierai pas. C'est cet homme là dont je veux me souvenir, c'est cet homme là qui est mon grand-père, c'est cet homme là qui, durant ma vie et avec sa mort, m'a renvoyée à ce que je suis et ce que je peux encore choisir d'être.