vendredi 12 juin 2015

Mais où est donc Chantal?


Ça fait déjà un petit temps cette histoire.

Un dimanche, cimetière d'Ixelles, La Bastoche, l'envie de manger un bout à quatre.

On choisii une petite table vers le fond, avec banquette et des chaises aussi. On passe commande de pâtes, steak et frites, bières et de l'eau pour les chouquettes.

Les filles sont cool même si elles s'agitent un peu et se chamaillent brièvement. Les chaises se font musicales, chacun cherche son chat et sa place. A l'époque Lola a cinq ans et Alma tout juste deux. Rien d'ingérable. Les parents restent cool.

On mange tranquillement, après découpage des hamburgers, répartition des frites et un moment de flottement sur qui boit dans quel verre.

Après le repas Lola étend ses jambes sur la banquette à côté de moi, entre digestion et ennui. Je lui dis que ça ne se fait pas, elle les retire. Elle balance les jambes en tapant ses pieds. Je lui signale que ça pourrait déranger les autres personnes. Elle me regarde et arrête. Les filles ont envie de bouger. Normal. 

Môman veut terminer son café et se prépare le plus sereinement à réduire en miettes les voisines de la table d'à côté. Môman a déjà dit à Pôpa de ne pas s'emballer, qu'elle s'en chargeait.

Oui, je m'attaque parfois aux vieilles. Mais seulement quand la bienséance le nécessite.

Parce que voilà, tout le repas elles n'ont eu cesse de reluquer notre table. On aurait pu croire avec bon sens qu'elles étaient charmées par ces deux adorables petites filles. Point du tout. Tout le repas ça n'a été que coups d'oeil suivis de commentaires jugeant sur mes deux adorables petites filles. Mes adorables petites filles. Elles ont passé tout ce temps à anticiper ce que mes filles pourraient bien faire qui les dérangerait dans leur quiétude dominicale. Tant et si bien qu'à force de ne faire que nous regarder et faire des commentaires indélicats elles se sont convaincues elles-mêmes que nous les dérangions en occupant leur espace personnel. Sourcils levés, lèvres pincées, moues désapprobatrices et - comme elles sont vieilles - commentaires chuchotés pas si discrètement que ça, faute d'une ouïe perçante.

Moi j'ai l'ouïe perçante.

J'ai gardé mon calme pendant 45 minutes. J'ai lancé quelques regards apaisants puis froids, enfin de mise en garde.

Et puis 'ding', point de non retour. "Heureusement que Chantal n'est pas là (...) ce qu'elle dirait (...) Chantal n'aurait jamais supporté!".

Je repose ma tasse de lait russe, finie. Le père embarque les enfants vers la caisse. Le regard qu'on se lance nécessite 15 ans de vie commune. Il sait. Il lui est clair qu'on ne repasse pas par la table et que quoi qu'il arrive, il s'empressera de mettre les enfants à l'abri.

Je passe la bride de mon sac sur l'épaule, m'essuie délicatement le coin de la bouche, je me lève et me retourne vers la table d'à côté. Je prends appui dessus de manière détendue et je commence,  "Mesdames". Elles lèvent les yeux avec un regard poli et un sourire convenu que l'on pourrait presque imaginer sympathique.

"Vous avez passé toute l'heure à regarder ma famille ostensiblement, vous vous êtes permis de faire des commentaires désobligeants, injustifiés, exposant les oreilles de mes filles à ceux-ci, votre attitude est grossière et il semble évident qu'en la matière vous êtes très mal placées pour donner des leçons ou parler de mes enfants, vous n'êtes que deux vieilles bonnes femmes aigries, je suis fière de mes filles, remarquablement équilibrées et respectueuses de leur environnement et s'il y a quelqu'un ici qui devrait se plaindre des autres, de vous, c'est bien moi!". 

Le O de stupéfaction sur leur visage n'avait pas de prix.

"Encore une chose, si Chantal avait été là, je lui aurais dit d'aller se faire foutre et vous avec, sur ce, bon dimanche".

Quand je suis partie, leur tournant le dos, digne et fière mère, je les entendais hoqueter, choquées, sonnées, vitupérant des paroles que je n'ai pas pris la peine d'écouter ni de retenir. 

J'ai ri en sortant de La Bastoche. Je ris encore en y repensant. Et oui bien sûr, j'irai encore manger là-bas, avec mes filles. Je n'ai pas peur de Chantal. 

2 commentaires:

  1. En même temps qu'est ce que des vieilles biques faisaient à la Bastoche? La Bastoche quoi!?
    Et puis bravo! Bien dit et bien fait! Ris encore :D

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    1. La Bastoche un dimanche. Manifestement des habituées aussi. Enfin peut-être plus depuis ce dimanche là...

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