dimanche 18 mai 2014

Bac à sable

"Par la vie, pour la vie" - Ovide Decroly

Chère toi,

reine des bacs à sable, reine de la classe, reine des amitiés qui se font et se défont. Je t'ai croisée hier et je n'ai rien eu à te dire. Il m'est revenu que tu en étais perplexe, troublée ou perdue. Très certainement surprise. Il y aura bientôt vingt ans qu'on ne partage plus les bancs de l'école. Tu as été  de mes bacs à sable de maternelle, de mes primaires et de mes secondaires. En ta présence je me sentais rejetée, manipulée, utilisée, ignorée. Peut-être qu'au milieu de tout ça tu me trouvais sympa, un peu quand même, j'aime encore à le croire. Peut-être n'avais-tu pas conscience que tu étais une méchante fille. Une de celle qui décide si on fait partie ou non du groupe et si on est quelqu'un de bien. A cet âge les enfants pensent encore que leur valeur est celle qu'on leur accorde. Alors moi et nombre d'entre autres on s'est sentit un peu nuls. Un peu à côté de la plaque, pas dans les standards. Parce que les standards tu les dictais bien sûr. Tu avais certainement tes raisons. Peut-être que tu n'étais pas heureuse en famille ou que quelqu'un t'a fait du mal. Peut-être. Mais il y a beaucoup d'enfants qui n'ont pas eu la part facile, comme moi, et qui n'en étaient pas pour autant des meneuses, destructrices de confiance en soi. C'était peut-être aussi ce qui te manquait ou que tu jalousais et nous en priver te rassurait? C'est ce que nos mères nous racontaient en tout cas pour nous consoler de tes vexations quotidiennes. Hier on s'est revues pour la troisième fois en 16 ans. Tu ne te  rappelles pas de la première fois - tiens pourquoi n'en suis-je pas étonnée. La deuxième fois je t'ai trouvée ridicule mais je me suis trouvée tout aussi ridicule d'avoir été blessée pendant toutes ces années. Je t'ai vue et tu m'as fait pitié. Tu étais profondément ordinaire. Je ne t'aurais pas connue auparavant que tu n'aurais pas attiré mon attention. Tu es de ces personnes avec qui je ne sympathiserais pas aujourd'hui, peut-être même que je n'aimerais pas. Et puis hier soir on s'est revues pour la troisième fois. Et je n'ai pas été au-delà du bonsoir de politesse. Je ne me suis même pas embarrassée d'un au revoir. Tu as cru que je te faisais la gueule. Pas même. Comme tu peux être encore si égocentrique après toutes ces années. Toi, toujours toi. Je ne me suis simplement pas embarrassée de feindre un intérêt que je n'ai pas. Et je n'avais pas envie de partager ma vie. Avec toi. Le temps a passé et j'ai changé. J'ai fait de merveilleuses rencontres qui n'ont pas manqué de me dire la fille formidable que j'étais et que je suis toujours. Des gens qui m'ont laissée être ce que je suis et qui m'ont aimée pour cette raison bien précise. Le temps m'a donné la valeur, ma valeur. Alors j'aurais pu te jeter au visage la longue liste des merdes que tu m'as faites et la toute aussi longue liste de mes réussites personnelles. Mais là encore j'ai mûri. Je n'ai rien à prouver ou à démontrer. Si tu veux me connaître il est un peu tard. Tu as eu 14 ans pour le faire. Je suis persuadée que si ces mots se frayent un chemin jusqu'à toi tu n'en comprendras pas grand chose. Sans doute en seras-tu choquée et, te connaissant, un peu flattée (ravie même de prendre ton air ingénu en l'évoquant avec tes amis autour d'un verre de vin - tu sais que j'ai raison).  Mais finalement même ce titre de reine de bac à sable ne résiste pas aux marées. Des années plus tard ton aura a disparu en emportant tout le mal que tu as pu faire. Il ne reste que toi. Et tu m'indiffères.

Si je prends le temps ce soir d'écrire ces quelques lignes c'est pour deux autres petites filles que je connais mieux que personne parce que je les ai mises au monde. Chaque jour je leur rappelle leur valeur et leur beauté. Je les accompagne dans leur épanouissement au monde. Je les encourage à s'ouvrir aux autres, à jouer, à rire, à se montrer tolérantes et à donner une chance à tous. J'ai retenu ma leçon. 

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